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lucie delarue-mardrus

Désir de tendresses mêlées qui fait son chant s’élever comme une prière avec les volutes des vagues. C’est à Sapho que s’adresse sa prière, Sapho, la muse aux « beaux doigts habiles aux caresses », aux « baisers complexes et savants » :

Prêtresse de l’amour qu’ils appellent infâme
Ô Sapho, qu’a donc pu devenir ta grand âme ?
… Je t’ai chantée, aimée, admirée en mon cœur,
Moi, poétesse vierge, ô toi la poétesse
Courtisane…

Vierge ! Cette muse étale sa virginité avec une sorte d’orgueilleuse ostentation : je suis vierge, je suis intacte. C’est nouveau en poésie, semble-t-il : la virginité, cet état négatif, devient ici source de rêves, de forces secrètes et cachées. Mais pour cette vierge comme pour toute femme, il n’y a pas de bonheur, il n’y a pas de vie et conscience de vivre sans l’amour : elle songe à ceux qui devraient s’aimer et qui ne se connaissent pas :