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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér4, 1927.djvu/252

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éternelles et la préoccupation de la mort qui, en nous délivrant de la vie, nous fait monter vers l’infini. De là une attitude affectée qui fut bientôt de bon ton, jusque parmi les enfants. Qu’est-ce que la vie nous donne ? Rien. Qu’est-ce que la mort nous promet ? Tout. Bien des esprits faibles succombèrent à cet affreux paradoxe. Il est développé dans les œuvres étranges d’Alphonse Rabbe, qui ont des titres bien caractéristiques : Philosophie du Désespoir, Du Suicide, Entre la Vie et la Mort ; dans Joseph Delorme, de Sainte-Beuve surtout dans les Mémoires d’un Suicidé, de Maxime Du Camp, qui semble clore la période funèbre. Le suicide était encore si à la mode aux dernières années du romantisme que Pétrus Borel, en matière de macabre plaisanterie, sollicita des pouvoirs publics l’établissement « d’une vaste usine ou machine, mue par l’eau ou la vapeur, pour tuer, avec un doux et agréable procédé, à l’instar de la guillotine, les gens las de la vie ». Selon ses calculs, en taxant chaque suicide à cent francs, on n’obtiendrait pas moins de trente millions pour le trésor public. J’ai encore entendu le dernier des romantiques, Villiers de l’Isle-Adam, discourir d’un projet analogue, mais plus ingénieux, puisque chacun devait avoir à sa disposition le genre de mort le plus à son goût, fût-il extraordinaire. Comme Villiers faisait profession de catholicisme, il maniait admi-