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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér4, 1927.djvu/269

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voudrais être heureux ! Mais quel homme a le droit d’exiger le bonheur sur une terre où presque tous s’épuisent à seulement diminuer leurs misères ? » Obermann n’a pas, comme René, le naïf orgueil de sa vie décolorée ; ce n’est pas l’égoïste qui ne se complaît qu’à ses propres souffrances. Il a contemplé celles de toute la terre et il participe à leur universalité. Obermann n’est plus ennuyeux que parce qu’il est plus long ; René est plus agaçant. Chaque fois qu’un grand esprit prendra la vie trop au sérieux, il pensera comme Obermann, mais il serait d’un plus grand esprit encore peut-être d’écarter par un sourire ces contradictions et de se désaltérer paisiblement. Obermann voulait arriver au bonheur par la vertu : « Je me tenais assuré d’être le plus heureux des hommes, si j’en étais le plus vertueux. » C’est une voie difficile, qu’il ne tarda pas à trouver impraticable. Mais comme il ne voulait pas devenir coupable non plus, il se trouva fort désemparé. Quelle maladie que le moralisme quand il n’est pas soutenu par une volonté forte et discrète, et que ces subtilités de casuiste philosophique sont énervantes ! Au temps de Manfred, de René, d’Obermann, la sérénité de Goethe se mûrissait : la controverse morale ne pénétra pas dans cette âme saine.

Quoique entaché du même esprit de subtilité, le livre de Senancour sur l’amour est d’une lecture