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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér4, 1927.djvu/308

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sien, que Marini ignorait certainement, que le rire est le propre de l’homme. N’est-ce pas, chez le « corrupteur du goût », le signe d’une certaine qualité d’âme, et n’est-ce pas là une des âpres flèches du cruel archer, que fut parfois le poète des Trastulli[1] :

L’aspre saette del’ Arcier crudele ?

Dans ses premières poésies, ses premières Rime, Marini était le poète des baisers. Sans en avoir l’air, il dépeçait Catulle, le regonflait ; il énumère et connaît un par un les Basia mille : le baiser furtif, le baiser dérobé, le baiser douteux, l’âcre baiser, le doux baiser, le baiser amoureux, le baiser doux-amer, et toutes les variétés non du baiser sensuel, mais du baiser psychologique. Dans ces jeux où les langues sont des rubis, les gencives de la pourpre, la bouche une rose, les dents des perles et la salive une ambroisie, Marini est intempérant, Gongora plus condensé. Ses images, qui ne le cèdent pas en artifice à celles de Marini, sont plus sévères, partant plus froides encore. Mais tandis que le poète italien s’attarderaà cultiver ce jardin de fleurs mièvres, où parfois une rose éclate, Gongora tente bientôt, avec son Ode sur la prise de Larache, une matière plus haute, si elle n’est pas plus séduisante. Cette ode est le

  1. Les Divertissements, titre du VIIIe chant de l’Adone.