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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér4, 1927.djvu/341

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gneurs féodaux, s’en partageaient la souveraineté. Homère était peut-être attaché à l’un d’eux ; peut-être allait-il d’île en île, de palais en palais, récitant aux jours de fête ses chants merveilleux. Il ne les avait pas inventés, mais il les avait composés et très probablement écrits de sa main. Ces temps étaient hautement civilisés. L’écriture, sans être connue de tous, ce qui est un fait moderne, était déjà fort répandue. Les arts florissaient ; le luxe était raffiné. On connaît, par les monuments trouvés à Mycèhes, la toilette des dames mycéniennes. Leurs robes à volants, leurs étroits corsets, leurs coiffures à boucles les rapprochent singulièrement des femmes d’aujourd’hui, dont elles ont d’ailleurs l’allure souple et serpentine. Homère, qui reflète cette civilisation, est loin d’être le barbare qu’a cru découvrir Leconte de Lisle. L’homme qui a su fondre en un seul les principaux dialectes grecs, le créateur de cette langue, qui est la langue homérique, était plutôt un lettré à la manière de Dante qu’un improvisateur inspiré, tels que le concevaient les romantiques. Voyons-le récitant un chant de son poème en s’accompagnant sur la lyre ; voyons-le aussi à sa table de travail et méditant sur son œuvre. Les conditions de l’art sont des conditions humaines, des conditions physiques, et, comme telles, elles sont invariables.