Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/116

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vissante certitude eût réjoui son âme ! Mais n’était-il pas déjà heureux ? Il rêvait.

Madame Leveneur se livrait à quelques conjectures pour deviner ce qu’avait de si important à lui communiquer M. Janton, et Manette préparait son rouet, quand M. Leveneur cria par le judas :

— Monteras-tu, madame, Leveneur ?

— J’y vais.

— Allons, vite !

— Mais je monte !

— Tout de suite !

— Quel homme ! quand cela finira-t-il ? murmura madame Leveneur en soupirant et en regagnant l’escalier tortueux qui conduisait de l’arrière-boutique au premier étage.

Pendant qu’elle gravissait les marches obscures de l’escalier, M. Leveneur, dont la figure était restée collée au judas, dit à Manette :

— Et toi, tu n’oublieras pas que demain nous avons Lanisette à dîner, entends-tu ?

— Demain !

— Pourquoi non ?

— Je ne dis pas…

— Voici le menu : trois livres de bœuf bouilli, une oie à la broche, des haricots sautés, une friture, des beignets de pommes et une salade. Arrange-toi ; il faut que Lanisette soit content. Tu monteras de la cave huit bouteilles de vin.

— Huit bouteilles !

— Oui, mademoiselle ; qu’avez-vous à dire ?

— Rien, mon père.

— Je croyais… Il n’est que dix heures, travaillez, ne perdez pas votre temps. Si vous avez froid, marchez.

Le judas fut fermé. Manette resta seule dans l’arrière-boutique, et fila jusqu’à minuit, non sans jeter souvent les