Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/120

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plus au niveau du siècle. Qu’est-ce qu’une industrie, se disait-on alors, qui n’enrichit pas en cinq ans ? Est-ce qu’on a le loisir d’attendre ? Les opérations industrielles veulent être conduites à la vapeur ; il faut y introduire l’activité des chemins de fer. On n’introduisit que la banqueroute ; mais nous n’écrivons pas l’histoire de ces temps-là.

Dès que Leveneur, un des premiers prévenus, eut vent de l’affaire, il songea a s’édifier sur la valeur de la manufacture. Avant d’échanger du bon argent contre des actions, il était prudent d’agir ainsi. Il poussa la réserve jusqu’à ne pas aller directement à la fabrique de châles dans l’intention formelle, avouée, d’en connaître l’importance. Il prit un détour. Un dimanche, il dit à sa femme et à sa fille de fermer la boutique et des habiller. Les deux femmes obéirent.

— Nous allons à la Prairie. — À la Prairie ! s’écrierent-elles ; et pourquoi faire ? — Pour nous promener, apparemment.

La mère et la fille se regardèrent comme pour se demander réciproquement ce qu’il fallait croire. Ce ne fut pas non plus un léger, étonnement pour les gens du pays de voir l’ancien garde-chasse, assez connu pour son peu de complaisance conjugale, promener sa fille et sa femme.

— Voudrait-il enfin, disaient les uns, marier Manette, qu’il vient l’étaler ainsi en plein dimanche à la Prairie ?

On se figure si les coups de chapeau plurent de toutes parts autour des Leveneur. Leur présence fut un véritable événement. Pour échapper à une curiosité gênante, Leveneur proposa d’aller visiter au bout de la Prairie la manufacture de châles de M. Commandeur. Par là, ils donneraient à la foule le temps de les oublier, et ils verraient un établissement qui méritait d’être connu.

Ils quittèrent une des grandes allées pour suivre la berge, beaucoup moins couverte de promeneurs, et tout émaillée