Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/122

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— Je travaille toujours, répliqua le jeune artiste, qui tenait d’une main un godet de couleur, et de l’autre un pinceau. Après tout, j’ai tort de vous retenir, et c’est moi qui vous dois des excuses, ajouta-t-il, car vous avez vu ce que présentent de plus curieux les procédés de fabrication. Je ne suis pas même un ouvrier ici.

— Ah ! mon Dieu ! que c’est beau ! s’écria tout à coup Manette.

— Qu’as-tu ? lui dit sa mère.

— Regardez, mais c’est admirable !

— Ah ! mademoiselle, dit Engelbert, le jeune artiste alsacien, dont Manette exaltait tant l’ouvrage ; vous me louez beaucoup trop. Vous voyez, ajouta-t-il en rougissant et en rejetant ses longs cheveux blonds derrière l’oreille, la tâche que je remplis ici. Je suis le dessinateur de la manufacture…

Manette répétait toujours :

— Oh ! que c’est beau ! mon Dieu !

Ce qu’elle admirait ainsi avec tant d’effusion était une aquarelle représentant un riche bouquet destiné à occuper le centre d’un châle que la manufacture avait reçu l’ordre de fabriquer pour la sœur aînée du roi de Naples.

Engelbert avait eu soin, pour composer ce magnifique bouquet, de faire un choix parmi les fleurs les plus aristocratiques, laissant au milieu de toutes la place d’une autre fleur plus belle encore, plus royale. En attendant qu’il l’eût trouvée, l’artiste, pressé dans son œuvre, avait achevé de peindre les autres fleurs ; mais il arriva qu’il termina son ouvrage sans rencontrer sous sa main ni dans son imagination la fleur dont il avait besoin pour le couronner dignement. Il était dans l’anxiété de sa recherche lorsque Manette entra dans son cabinet.

— Pourquoi donc, lui demanda naïvement celle-ci, frap-