Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/137

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— S’il fallait vous répéter…

— Répète, mon garçon.

Ne pas insister eût été maladroit de la part de Leveneur.

— À votre santé, monsieur, madame et mademoiselle, dit Lanisette après s’être versé un plein verre de vin de château-neuf-du-pape, comme s’il eût voulu s’encourager à parler, ce qui n’était pas du tout dans son intention, car il avait le vin fort peu prudent et très-expansif. Quand il eut vidé son verre et choqué sa langue contre le palais, il reprit ainsi :

— On dit qu’il n’est pas possible que vous ayez gagné cet argent comme tout le monde.

— Je l’ai volé, n’est-ce pas ? dit brusquement, Leveneur.

— Il y en a qui le disent.

Manette pâlit.

Un faux éclat de rire partit des lèvres de son père.

— Mais pas tous, père Leveneur, osent dire cela.

— Et que disent les autres ?

— Vous voulez le savoir ?

— Voilà pour que tu le dises, répondit Leveneur en versant un plein verre de frontignan au terrible causeur.

— Ils disent, que vous êtes un assassin.

— Mon père

— Silence, mademoiselle !

Madame Leveneur devint blanche comme la nappe.

— Oui, ils disent que vous avez empoisonné le comte de Meursanne pour vous emparer de son argent.

— Quelle histoire ! dit Leveneur en faisant dix mouvements à la fois pour n’avoir pas l’air d’être attentif à ce qu’il entendait ; se coupant du pain, se versant à boire, cherchant le sel, le poivre, regardant sous la table, comme s’il eût laissé tomber quelque chose. Cet homme terrible,