Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vre. À la clarté des étoiles, elle distingue le visage d’Engelbert.

— Vous !… Mais l’étonnement ôta la parole à Manette.

Monté sur un arbre, le dessinateur de la fabrique de Saint-Michel-hors-les-Bois s’était avancé jusqu’au bord de la croisée à la faveur d’une longue et solide branche sur laquelle il s’assit.

— Merci lui dit Manette en lui tendant la main ; merci d’être venu.

— Mais qu’avez-vous ? vous êtes émue…

— Oui, je le suis… Mais comment avez vous su que j’étais mal, que je souffrais ? Oh oui, je souffre beaucoup…

— Hier vous avez allumé trois bougies ; il était convenu entre nous que c’était un signe de douleur…

— Mais je l’ai retiré aussi tôt, ce signe…

— N’importe ! cela m’a causé un pressentiment… Ensuite… mais parlez-moi de vous.

— Ce pressentiment ne vous a pas trompé. On veut me marier… Vous le voyez, je suis déjà parée…

— Vous marier ! ce n’est pas possible.

— Non, ce n’est pas possible ! ce n’est pas possible murmura Manette avec une volubilité fébrile.

Pendant quelques minutes, les deux, jeunes gens restèrent plongés dans une consternation muette : Manette les yeux levés vers le ciel, qui était d’une rigidité effrayante ce soir-là par le froid qui régnait ; Engelbert le front penché sur sa poitrine. Cette scène de douleur et d’amour à une croisée et sur un arbre blanc de givre offrait le caractère mystique et rêveur des peintures de Cornelius et d’Overbeck. Ni l’un ni l’autre des deux amants n’avait songé à cette crise si fatale et pourtant si naturelle ; mais à quoi avaient-ils songé ? s’étaient-ils dit seulement qu’ils se marieraient ? Leur espérance s’envolait avant même