Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/147

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— Prévoyant que je serais appelé cette année à satisfaire à la loi du recrutement, j’avais envoyé l’an passé deux mille francs à ma mère pour qu’elle mît à la masse et m’eût un remplaçant.

— Oui, disait Manette… Je vous écoute…

— Ce sacrifice accompli, et il était grand, car je fus obligé de recourir à la générosité des maîtres de la manufacture pour qu’ils m’avançassent cette somme, je me croyais tranquille ; j’avais délié ma vie du service militaire, toujours si funeste à la carrière d’un artiste.

— Ensuite ?… interrompit Manette, impatiente comme la douleur…

— Un an s’était écoulé depuis cet envoi des deux mille francs lorsqu’il y a deux jours une lettre de ma vieille mère, qui n’habite plus Strasbourg, mais un village près de Colmar, vient m’apprendre qu’elle les a seulement reçus de la veille.

— Les deux mille francs ! s’écria Manette avec autant de surprise que d’effroi,

— Les deux mille francs. Il était trop tard, ajoute ma mère ; le tirage avait eu lieu le mois dernier, et par conséquent je suis réfractaire ; et l’on me poursuit.

— Oh ! mon Dieu ! s’écria Manette en joignant les deux mains, comment cette lettre a-t-elle été détournée en route ?

— Cette somme, me dit enfin ma mère n’en est pas moins arrivée à propos ; elle s’en est servie pour payer les frais d’une longue maladie de mon frère. Comprenez-vous, vous expliquez-vous par quelle fatalité ces deux mille francs ne sont pas arrivés tout de suite à leur destination ?

— Il y a là-dessous, dit Manette, un mystère… mais c’est incroyable…

— C’est incroyable, comme vous dites, mais pourtant cela est. Toutes les circonstances sont présentes à mon es-