Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/154

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ble distance du plafond, la main sous le judas. Elle retenait son haleine. Ici le frémissement de la crainte fut plus vif encore ; elle touchait au terme de son audace, au point le plus périlleux. Comment soulever sans bruit cette petite planche ? Le moindre bruit… On tremble d’y penser. Manette pose pourtant sous le judas sa main ouverte en calice, et, concentrant toute son habileté dans l’extrémité de ses doigts, elle pousse légèrement, soulève peu à peu, enfin ouvre le judas, et instantanément la lumière de l’appartement frappe ses yeux. Manette sentit perler une goutte de sang glacée sur son cœur. Un instant son poignet, débordant le plancher de la pièce où était son père, soutint en équilibre le petit carré de bois du judas. S’il fût tombé !… Manette, après l’avoir tenu ainsi en l’air quelques secondes, le ramena sur le trou même, mais de façon à laisser découverte une faible portion de cette ouverture, une fente par où lancer le rayon visuel dans l’appartement. Rien ne la trahit. L’adresse fut celle d’une souris. Mais de quelle foudroyante surprise Manette ne fut-elle pas atterrée lorsque, par cette coulisse ménagée à la lumière, elle aperçut son père et sa mère assis près d’une table sur laquelle s’élevaient une montagne de lettres et deux réchauds allumés ! — Que font-ils ? que peuvent-ils faire ? se dit-elle ; et que veut dire ?… — Manette n’eut pas longtemps à s’adresser les mêmes questions.

Ouvrant une boîte en fer-blanc dans laquelle s’amassait la vapeur produite par l’eau qui chauffait sur un des deux réchauds, M. Leveneur y prit une certaine quantité de lettres, et les jeta toutes moites sur la table.

— Lis-moi cela, dit-il ensuite à sa femme.

Manette, effarée, avait peine à croire à ce qu’elle voyait. Était-ce bien son père qui ordonnait de lire les lettres des autres, de les décacheter ?