Deux gendarmes du canton étaient entrés pour boire deux petits verres d’eau-de-vie, car on débitait de tout dans la bienheureuse boutique de Leveneur. Selon l’usage, celui-ci avait aussitôt lié conversation avec eux.
— Que dit-on de nouveau ? Y a-t-il toujours des malfaiteurs, dans les environs ? A-t-on arrêté les assassins de la marquise de Lascars ?
Enfin, il les provoqua tant, que les gendarmes lui répondirent :
— En attendant d’arrêter ceux qui ont pillé le château de madame la marquise de Lascars, nous avons de la besogne toute taillée, nous traquons depuis trois jours un réfractaire caché tout près d’ici ; il nous est avis que nous ne le pincerons pas sans peine : le réfractaire est un gibier difficile.
— Voulez-vous le pincer tout de suite ? leur dit Leveneur.
Manette poussa un cri.
— Qu’avez-vous ? lui demanda un des deux gendarmes.
— Rien… rien… dit-elle ; je viens de me prendre le doigt en fermant trop étourdiment ce tiroir.
— C’est mauvais, cela, mademoiselle ; mettez à la blessure un peu de toile d’araignée, ou du marc de café, ou de l’encre, ou un peu d’huile d’olive, ou même un peu de farine, lui recommanda le gendarme, qui se tournant ensuite vers Leveneur, lui dit : :
— Comment nous le feriez-vous pincer, ce réfractaire ?
— D’abord, que me donnerez-vous, si je vous le livre ? repartit Leveneur.
Manette regardait toujours son père avec un sentiment d’indignation et de pitié.
— Me donnerez-vous un billet de banque ? continua-t-il avec le même sourire.