Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/17

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— Mais pourquoi l’ai-je aimée ? s’écria de Morieux comme un homme qui peut enfin parler ; s’alléger d’un lourd et long silence, pourquoi l’ai-je épousée ? Est-ce pour sa dot ?

— Je crois qu’elle n’en avait pas…

— Pas le sou, mon ami. Est-ce pour son héritage ? mais elle n’a rien à espérer.

— Madame de Morieux, interrompit le commandant Mauduit, qui ne voulait pas se faire d’avance l’approbateur de toutes les récriminations du mari contre la femme, est une fort belle et fort aimable personne…

— Je ne dis pas non ; mais tu sais mieux que personne, mon ami, que ce n’est ni toi, ni moi, ni nos amis qui pouvions nous marier pour l’unique plaisir de ravir une jolie femme au monde et aux salons. Nous n’avons jamais fait la guerre à si haut prix.

— Sans doute…

— D’ailleurs quelle gloire raisonnable y avait-il à enlever madame de. Morieux, demoiselle, au rang plus que modeste où elle est née ?… Tu sais qu’elle est la fille d’un de mes fermiers.

— Qu’importe, si tu l’aimais ?

— Mais il importe beaucoup.

— Mais non !…

— Mais si !…

— Comment ?

— Tout mon malheur vient de là.

— Ton malheur ?

— Un malheur qui m’a fait quitter ce matin même ma maison comme un fou, comme un désespéré, comme un homme décidé à s’exiler, à se noyer peut-être, si à la douleur que j’éprouve avait dû se joindre par hasard celle d’être mal reçu chez toi !…