Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/177

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elle-même, elle retenait des larmes. Son père s’occupait aussi beaucoup de l’heure ; mais, pour abréger le temps, il se levait, montait à sa chambre, où on l’entendait ouvrir des tiroirs et comme essayer les ressorts d’une paire de pistolets. Madame Leveneur ne se doutait que trop du but de tous ces préparatifs ; elle en était épouvantée. Jamais, mettant à profit ses criminelles indiscrétions, son mari n’avait tenté un coup pareil à celui qu’il allait faire ; et plus il était hardi, dangereux, sinistré, moins elle osait s’y opposer. Elle entrevoyait la fin certaine, infaillible, de tous ces méfaits. Parfois elle voulait aller tout avouer à son confesseur ; mais la peur la retenait encore. Ses terreurs n’avaient jamais été plus grandes que pendant cette nuit. Se confier à sa fille ? mais elle ne l’avait pas habituée à ces épanchements qui, dans la famille, préviennent tant de malheurs, adoucissent tant de peines ! Leveneur avait contribué à produire cet éloignement parce qu’il savait que tout rapprochement entre la mère et la fille se ferait contre lui.

Quand il fut redescendu, il affecta de la gaieté, une certaine bonté même pour sa fille.

À neuf heures moins quelques minutes, Manette ayant quitté sa place et s’étant dirigée, plus morte que vive, vers l’escalier, sa mère lui dit :

— Où vas-tu ? Tu sais que ton père ne veut pas que tu quittes ainsi ton travail…

— Laisse-la donc aller où il lui plaira, cette chère enfant, lui dit Leveneur.

— Mon Dieu ! je ne m’y oppose que pour vous ; je craignais…

Ce mot de chère enfant, donné pour la première fois par M. Leveneur à Manette, toucha si profondément celle-ci, qu’elle fut sur le point de se retourner, de se jeter au cou