Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/197

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est si porté aux choses saintes, cet homme tout en Dieu, a chez lui, dans son cabinet, je devrais dire dans son boudoir, car ceci est un véritable boudoir, des tableaux pareils !…

La comtesse avait placé ses lunettes sur le nez, et s’était approchée d’un mur garni des peintures les plus profanes.

— Je ne me trompe pas : une Nymphe endormie, peinte par Boucher, des fleurs sur son sein de lis et de rose, des tourterelles se becquetant sur sa tête, des amours couchés à ses pieds… Très-bien… c’est charmant… Que vois-je encore ? Un Watteau… les Amours d’été, des nudités pour vingt mille francs… Un Lancret ! le Baiser d’adieu, un bijou de ce peintre libertin. Partout des sujets licencieux ! des statuettes d’une hardiesse !… Et qu’y a-t-il derrière ces rideaux, au fond de cette alcôve ?… Ah ! grand Dieu !… mon neveu !… mon, neveu !  !  ! vous gardez de pareils tableaux près de votre chevet !… Ah ! j’en rougis… Caniveau ! Caniveau !

— Madame la comtesse…

— T’es-tu aperçu de quelque dérangement sérieux dans l’esprit de ton maître ?

— Jamais, madame la comtesse…

— Que signifie pourtant cette contradiction ? Tu m’assures que mon neveu passe sa vie à méditer sur Dieu, et je n’aperçois ici que des tableaux qui feraient baisser les yeux à un garde-française !

— Je vais vous dire, madame la comtesse… Mon maître a voulu s’entourer de ces peintures pour s’éprouver… pour résister à la tentation…

— Ah ! mon Dieu, mon Dieu, que tu es bête ou que mon neveu est fou ! s’écria la comtesse en tombant à la renverse sur un divan pour rire tout à son aise.

Largillière, ce peintre du bon temps des fines marquises