Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/209

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métiers, des myriades de bâtiments liés entre eux par des ponts, des galeries découvertes. Il monta à un sixième étage, placé au niveau de la colonne de Juillet et des piliers de la barrière du Trône. Il frappe, on tire un loquet, on ouvre ; il baisse la tête afin d’entrer dans la mansarde sans toucher au linge, suspendu à des cordes. Poliveau est chez la gentille Victoire, la jeune blanchisseuse du colonel.

— Ma chérie, lui dit d’abord Poliveau, m’aimes-tu bien ?

— Quelle demande !

— Elle n’est pas si étrange qu’elle en a l’air.

— Vous faut-il des preuves de cette affection, monsieur Poliveau ?

— Une seule.

— Autrefois j’aurais dit c’est beaucoup.

— Et aujourd’hui ?

— Je ne dis rien ; j’attends que vous me disiez la preuve qu’il vous faut.

— Cette preuve est un sacrifice.

— Un sacrifice ! Vous exigez de moi un sacrifice ?

L’étonnement de la jolie blanchisseuse fut si grand, qu’elle tint levé en l’air, pendant quelques minutes, son fer à repasser. Poliveau la surprenait au delà de toute expression. Elle était charmante et digne d’être peinte par un nouveau Greuze dans son attitude renversée, qui faisait flotter en arrière les deux bandes de mousseline formant les mentonnières de son bonnet à la Charlotte Corday. Ses yeux bleus questionnaient, sa bouche fine et pincée, bridée aux coins, comme ses yeux, comme son nez, respiraient en ce moment l’inquiétude de la plus vive curiosité.

— Comment, un sacrifice ! répéta-t-elle.

— Victoire ! dit gravement Poliveau.

— Monsieur Poliveau ! répondit Victoire avec la même solennité.