Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/215

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— Ah ! pardon, monsieur le colonel… Mais vous êtes si bon… si aimable…

— Qui vous a dit cela ?

— Mon frère Poliveau d’abord, et puis tout le monde.

— Gagnez-vous beaucoup dans votre état ?

— Si l’on nous payait ce qu’on nous doit… il n’y aurait pas trop de quoi se plaindre…

Le colonel, qui voyait que Victoire cherchait toujours, à gagner la porte, voulait le plus possible prolonger le fil de la conversation.

— N’auriez-vous pas plus de profit, par exemple, à être femme de chambre dans quelque bonne maison ?

— Sans doute… Mais moi, j’aime ma liberté, dit la gracieuse blanchisseuse en relevant fièrement la tête, ce qui lui donna l’occasion de montrer au colonel la finesse de son cou plein d’anneaux voluptueux, la souplesse de sa taille et tout ce qu’elle avait de jeune et de charmant dans les yeux.

Les impressions tristes de M. de Lostains s’effaçaient peu à peu de son esprit à l’amusement de cette conversation inattendue, simple, gentille.

Poliveau apporta deux flambeaux.

— Le butor ! murmura le colonel.

Cette diversion calculée rappela à la rusée blanchisseuse un des points convenus entre elle et Poliveau.

— Bonsoir, monsieur le colonel, dit-elle en faisant mine de s’en aller ;

— Mais non… ne partez pas encore… j’ai du linge à vous donner…

— C’est qu’il est tard… On m’attend pour dîner…

— Restez ici… vous dînerez avec Poliveau…

— Impossible.

— Pourquoi cela ?