Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/234

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intelligence. Le Belge ne s’exprime en français qu’à la faveur d’une traduction mentale qu’il rumine sans cesse. Il pense en flamand, il parle en français, et, comme je viens de le dire, cet effort violent qu’il exerce sur lui-même depuis sa naissance jusqu’à sa mort lui ôte sa verve, éteint sa personnalité, l’énerve, et en fait une nation décolorée, un peuple dont on ne voit que l’envers et jamais l’endroit. La Belgique entière n’est qu’une vaste traduction. Le bas peuple seul est resté flamand ; aussi n’entend-il pas du tout le français, et la municipalité de Malines, comme celles d’Anvers, de Louvain et de Bruxelles, a soin, d’écrire, à l’intention des habitants, à côté du nom français de chaque rue, le même nom en pur flamand. On m’a rapporté un mot charmant de la reine des Belges qui vient à l’appui de mon opinion sur la fausse position grammaticale de ses sujets. Un député lui disait un jour à Laken, en lui faisant hommage d’un discours qu’il avait prononcé je ne sais plus à quelle occasion : « Votre Majesté daignera excuser les fautes qui ont pu m’échapper, en écrivant ce morceau… — Donnez, monsieur, donnez-moi votre discours, interrompit la reine, je le ferai traduire. »

En quittant Bruxelles, nous prîmes le faubourg Louise, nouveau quartier qui sera digne un jour du nom royal qu’il porte, celui de la reine des Belges. Les constructions de ce faubourg aristocratique déploient les proportions superbes de nos hôtels de la rue de la Paix. Elles auraient la même majesté sans le vernis beaucoup trop chatoyant dont on les farde. L’éclatante blancheur du stuc qui les recouvre leur ôte en splendeur ce qu’elle leur donne, il est vrai, en propreté. La singulière habitude qu’ont les Belges de blanchir à vif, d’étamer, pour ainsi dire, leurs maisons, imprime à la ville entière le caractère estimable, mais peu monumental, d’une salle à manger. Le sable qu’ils