Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/241

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préfère un champ de lin à dix mille pieds d’ormes[1].

— Ainsi, dans vingt ou trente ans, pensais-je, il n’existera plus de forêt de Soigne. Il eût été beau cependant de conserver… je parle de conserver en 1849 ! Hâtons-nous, hâtons-nous d’aller voir les derniers vestiges de Waterloo, s’il n’est déjà trop tard.

Je ne rappellerai à personne que le 18 juin est l’anniversaire de la célèbre bataille. J’avais choisi exprès ce jour néfaste pour faire ma promenade historique, à Mont-Saint-Jean, dans l’espoir de rencontrer sur la route beaucoup de vétérans de la grande année, pieusement curieux comme moi de voir le vaste ossuaire. Elle a été si grande, cette armée, qu’il me semble qu’il en restera des débris jusqu’à la consommation des siècles. La route était déserte, — cette route maudite par où les Anglais, le 18 juin 1815, s’enfuirent deux fois pour se réfugier à Bruxelles, et par où, le même jour, ils repassèrent avec l’étonnement de la victoire, — personne sur cette route ! Seulement, bien loin devant nous, une voiture courait dans la direction de Waterloo.

— Je gage que c’est un Anglais, dit mon cocher.

— Je gage que c’est un Français, répliquai-je par patriotisme.

— Monsieur veut-il parier du faro à discrétion ?

— Je tiens le pari.

Aiguillonnés par l’amour-propre de leur maître, les chevaux allèrent plus vite ; bientôt je revis le lion, mais cette fois un peu plus gros qu’une souris, et je distinguai plus nettement le dôme lugubre et rougeâtre de l’église de Waterloo. Nous galopions vers le but mobile dont nous

  1. En récompense de sa victoire, le duc de Wellington reçut en don une partie de la forêt de Soigne.