Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/255

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la mort a le plus largement fauché, où la victoire et la défaite ont laissé leur plus vive empreinte, cette arène mémorable a disparu. On l’a enlevée à plusieurs pieds, et on l’a ensuite roulée dans la forme d’un entonnoir de deux cent cinq pieds, de haut et de mille, six cent quatre-vingts pieds de circonférence ! On peut dire sans exagération, de cette construction fantasque et monstrueuse, qu’elle est faite d’ossements et pétrie avec du sang humain de la base au sommet. Elle fait peur aux hommes, horreur aux Français et pitié aux artistes.

Au-dessous du tombeau de sir Alexandre Gordon, et à l’angle même de l’escarpement dont j’ai rappelé les vicissitudes géologiques, on voyait encore, il y a quelques années, l’arbre sous lequel le général Wellington resta tout le temps de la bataille. Il était impossible d’être plus exposé. Deux fois, dans cette terrible journée du 18 juin, séparé de son état-major, il se trouva seul au milieu de la cavalerie française et foudroyé des quatre côtés au pied de cet arbre, qui méritait bien le sort glorieux qu’il a eu. Des spéculateurs anglais l’achetèrent, et, après l’avoir emporté à Londres, ils en vendirent les morceaux sous la forme de chaises, de fauteuils et de tabatières. Il est probable qu’on en tire encore aujourd’hui une foule de meubles, et qu’il aura le sort de la canne de Voltaire et de la plume qui signa l’abdication de Fontainebleau ; il n’aura pas de fin. On a assez souvent dénié aux Anglais la victoire de Waterloo pour qu’on ne soit pas suspect en rendant justice à la bravoure froide de leurs soldats et au courage de leur général. Ils ont perdu la bataille de Waterloo, c’est vrai ; ils l’avaient du moins complétement perdue et sans ressource avant l’arrivée de Blücher, mais ils ont été admirables d’énergie et de patience héroïque en face des Français, qui manquèrent de cette patience parce qu’ils