Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/256

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eurent trop de courage. À Waterloo, il y eut deux vaincus : les Anglais et les Français, les Anglais d’abord. Le vainqueur, ce fut le hasard et les Prussiens, auxquels les Anglais devraient laisser le léger bénéfice d’une pareille victoire, car les Prussiens se présentèrent vierges de toute fatigue, quand les Français avaient épuisé leur sang et leurs forces depuis douze heures : et je ne dis rien encore de celui qui s’en alla la veille de la bataille, et de celui qui ne vint pas le jour où elle fut donnée. Passons en silence entre ces deux maréchaux : Dieu les a jugés.

La distance entre les deux monuments dont nous avons parlé et la montagne du Lion est faible ; on la franchit tantôt en suivant un ravin où les Anglais et les Français roulèrent plus d’une fois pêle-mêle, eux et leurs chevaux, tantôt en marchant dans la campagne. L’hiver, ce chemin doit être impraticable. L’espèce de majesté que revêt de loin la grosse motte de terre décorée du nom de montagne s’évanouit peu à peu à mesure qu’on approche de sa base. Le gigantesque devient du grotesque. On ne voit bientôt plus qu’une montagne de fabrique belge, une contrefaçon de la nature. Sans le beau manteau de gazon qui à poussé autour de ce cône difforme, l’œil n’en supporterait pas un instant le spectacle : cette végétation en adoucit les contours, et le regard se repose, si le goût et le bon sens sont révoltés. Du courage ! Affrontons les deux cent vingt-deux marches creusées dans le flanc de la montagne : vainqueurs et vaincus sont égaux devant cette échelle roide et menaçante tendue comme celle d’un mât de vaisseau. Un seul appui vous est offert pour la parcourir : c’est une corde mal assujettie à l’extrémité de quelques pieux chancelants. Elle flotte sans cesse, et s’en va de la main, tandis que les pieds se posent de travers sur des marches rompues et disloquées, souvent absentes. Il faut monter