Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/277

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— C’est bien moi qui, serai morte, reprit Sarah du ton avec lequel elle aurait demandé une chose due.

— Excellent, monsieur Young, votre objection est plus affligeante encore que ma crainte. Votre mort ou la mienne, ne serait-ce pas une même calamité pour Lucy, à qui il ne resterait plus que son père ? et son père !…

— Eh bien. ! madame, je ne mourrai pas, foi de docteur Young ; mais brisons là-dessus.

— Encore un mot, docteur ; vous qui êtes partisan de la médecine préventive, pourquoi seriez-vous l’ennemi de la prudence, qui est aussi une médecine morale préventive ? — Sarah, ne m’interrompez pas ; je ne vous ai pas demandé du thé.

Sarah se replia vers le dos de son fauteuil, indiquant, par un plissement de front, au docteur Young, qu’elle ne savait plus aucun moyen d’empêcher sa maîtresse de parler, celui-là n’ayant pas réussi.

— Faites-moi la grâce de m’écouter. Ma dot, dont je parlais tout à l’heure, est considérable ; elle appartiendra à Lucy. Mais, si je meurs avant sa majorité, son père en aura la jouissance jusqu’à cette époque d’émancipation ; la loi lui défère ce droit. Imaginez comment il exercera ce droit, j’en frémis. Ce sont six ans, dix ans peut-être, de privations, de malheur, de misère, pour Lucy. Pauvre Lucy ! ajouta-t-elle ; et, passant mélancoliquement la main sous la chevelure ondoyante de sa fille, mistress Philipps affecta de boire une longue tasse de thé.

— Allons, Lucy, interrompit le docteur, n’irritez pas toujours ce chien ; il vous mordra, à la fin.

Lucy n’agaçait pas le chien ; mais le docteur avait besoin de donner le change à l’expression de ses traits.

Sarah ne remarqua pas qu’elle sucrait, pour la troisième fois, la tasse du docteur.