Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/287

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ner leurs traits : enfants des autres, elle passe ; elle les maudit presque. Montée, sur une borne, pour apercevoir de plus loin, elle cherche sur cette écume de chevaux et d’hommes, un chapeau rose, un tablier vert, une robe blanche. Qu’a-t-elle distingué ? Elle court, évite deux moyeux de cabriolet entre lesquels ne passerait pas sa fille ; mais les mères qui cherchent leur fille n’ont pas d’épaisseur. Qu’a-t-elle distingué ? un chapeau rose ; c’est bien cela, ce n’est que cela. Ce n’est pas même un enfant : porté, par une modiste, ce chapeau a causé l’illusion ; de mistress Philipps. Ce n’est pas la fatigue qui tue ; c’est le découragement : elle fléchit.

Son enfant est bien plutôt cette tête blonde qui flotte là-bas ; mais Lucy avait un chapeau rose : elle l’aura perdu, on le lui aura volé. Qu’importe ? c’est Lucy ; elle le veut.

Mistress Philipps n’a plus de forces pour marcher : elle court.

Voilà que l’enfant court aussi.

— Oh ! c’est Lucy, elle me cherche ; si j’allais encore la perdre ! — Lucy ! Lucy ! — Elle ne m’entend pas ! Mon Dieu ! faites taire ces voitures. Lucy ! — Faites-la tomber, dût-elle se briser un bras. Mon Dieu ! non, je ne l’atteindrai pas ! — Que je meure, mon Dieu, et que j’arrive !

La poitrine de la pauvre mère est brisée ; son haleine ne sort plus qu’avec un déchirement douloureux ; elle souffre horriblement au côté.

L’enfant s’arrête.

— Que voulez-vous de Lucy, madame, et comment savez-vous son nom ?

Cette enfant d’un autre s’appelait Lucy, nom banal en Angleterre.

Mistress Philipps se demanda, dans cet instant d’hor-