Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/290

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vert, une robe blanche ? Je suis sa mère : une réponse, s’il vous plaît, vous me rendrez service.

— Madame, répondit le passant, auriez-vous entendu dire qu’on eût trouvé trois mille souverains que je viens de perdre dans une maison de jeu ? Ils sont neufs, frappés au coin du roi Guillaume. J’en étais le possesseur : une réponse, s’il vous plaît ; vous me rendrez service.

La pauvre mère avait cru s’adresser à un homme ; c’était un joueur.

Cent pas plus loin, ce fut son tour d’être abordée.

— Vous pleurez, madame ?

— Et ne le voyez-vous pas, monsieur ?

— Quelque grand malheur vous a-t-il frappée ?

— J’ai perdu ma fille ; en connaissez-vous de plus grand ?

— J’en sais un plus grand, celui d’avoir recours à ce prétexte, et de n’en tirer aucun parti pour sa soirée. Cependant, quoique vous soyez la dixième femme que j’aie rencontrée depuis une heure à qui pareil malheur est arrivé, je ne vous refuserai pas mes affectueuses consolations. Voulez-vous que nous commencions par souper ?

Mistress Philipps ne put pas rougir, elle n’avait plus de sang ; elle ne put pas pleurer pour un tel affront, elle pleurait déjà avant de le recevoir. Elle salua le noble vieillard.

Arrivée sur une petite place entre le bord de la Tamise et les rues qui y aboutissent, elle entendit le son d’une cloche. Il y avait déjà comme du rêve dans sa tête. Ensuite elle vit un enfant portant un flambeau dont la lueur jaune éclairait le visage maigre d’un homme très-grand, rendu plus grand par un tricorne démesuré, par une longue redingote bleue, boutonnée de haut en bas, sur laquelle rabattait un collet de drap rouge ; par des bas