Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/305

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qui, toute préoccupée, tout émue, passe et repasse doucement et avec tendresse la main sur son dos ; froisse, avec la délicatesse qu’elle mettrait à toucher les feuilles veloutées d’une fleur, les oreilles de Rog, dont la tête heurtée, mais intelligente, se relève, sous un angle attentif, pour croiser avec le regard humide de sa maîtresse son regard magnétique et vert. L’instinct et l’âme se regardent, se réfléchissent, et le fluide universel, les unit par le conducteur intime de la vue, pile voltaïque de l’être. Et mistress Philipps dit à Rog, tout bas, près de son front, d’un souffle brisé et persuasif, comme s’il pouvait les comprendre, des demi-mots d’amitié, de prière et de reconnaissance ; elle lui dit :

— Bon ami, toi, tu as aussi cherché Lucy, tu as couru après ma fille.

Le chien regarde sa maîtresse jusqu’au fond des yeux de ses deux émeraudes vivantes.

— Tu as cherché Lucy, et tu ne l’as pas trouvée.

À ce nom répété de Lucy, Rog pousse de petits aboiements comme lorsqu’il rêve. Son museau noir frémit et se dilate.

— Tu as marché comme moi toute la nuit dans la boue et sous les pieds des chevaux en l’appelant.

Rog s’agite convulsivement sous l’exaltation de son instinct.

— Oui, on t’a maltraité comme moi, Rog !

Les flancs de Rog se creusent le long de son épine ; il est haletant, il souffre, il cherche, il aspire ; il veut une âme pour son âme, dirait-on, sous le regard dominateur, inflexible, inquiet, de sa maîtresse.

— On t’a chassé comme moi, Rog !

Un esprit électrique jaillit de chaque poil, de Rog, comme aux approches de l’orage.