Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/306

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— On t’a battu, battu, à la patte qu’ils t’ont brisée, les méchants !

Rog est plaint, il se plaint. Langue universelle, la douleur a un lien commun entre tous les êtres. Puis mistress Philipps en éveille une réelle dans le chien. Elle soulève avec précaution la patte brisée, pendante et endolorie, de Rog.

— On t’a battu comme moi, Rog !

Le chien replie sa patte sur le doigt de sa maîtresse ; il exhale un gémissement.

Mistress Philipps porte aussitôt cette patte à ses lèvres, et la réchauffe et la baise comme le bras d’un serviteur qui se l’est cassé en vous vengeant.

De reconnaissance, Rog laisse tomber sa tête sur l’épaule de sa maîtresse.

— Allons, s’écrie le docteur, ce que vous faites là est un funeste, excès de sensibilité : qu’avez-vous tant pour ce chien ?

— Mais, docteur, répondit mistress Philipps avec la faiblesse d’un enfant qui pleure, c’est que Rog n’a déchiré toutes ces robes blanches et ces chapeaux roses d’enfants que parce qu’il cherchait ma fille, que parce que ma fille, lorsqu’elle s’est perdue, avait un chapeau rose et une robe blanche.

— Par ma foi ! c’est la vérité, et je rends mon estime à Rog ; mais il a la patte cassée.

— Oui, docteur.

— Mais, c’est grave.

Le docteur déchira son mouchoir, et, déguisant l’émotion de l’homme sous la préoccupation du médecin, il ne laissa pas voir, tout en bandant l’appareil qu’il appliquait à la patte du chien, la sensibilité dont tous ses traits portaient l’empreinte.