Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/333

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déserts, aussi bien que dans les maisons du pauvre. Le pain devint rare, il manqua, il disparut enfin. Des privilégiés en avaient seuls quelques bouchées ; quand ceux-là s’invitaient entre eux, il se priaient d’apporter leur pain. Heureusement la pomme de Parmentier vint suppléer le blé, et Paris ne mourut pas d’inanition. Parmentier seul courut le danger de perdre la vie comme l’avait déjà perdue Lavoisier et tant d’autres grands hommes, c’èst-à-dire sur l’échafaud. Il fut poursuivi, il se cacha pendant deux ou trois ans. De quoi l’accusait-on ? De vouloir affamer le peuple peut-être. Lui ! qui l’avait nourri, qui le nourrissait, qui le nourrirait toujours ! Un crime de plus ne fut pas commis ; Parmentier survécut aux années tranchantes de la République, qui lui rendit tacitement l’hommage, dont il se serait bien passé, de planter des pommes de terre d’un bout à l’autre du jardin des Tuileries. Le goût de Marat se révéla par cette plantation excentrique détruite peu après par Robespierre, qui restitua au jardin des Tuileries ses jolis parterres, ses carrés de gazon, qui y fit même exécuter plusieurs embellissements auxquels les réactions et le temps n’ont apporté aucune altération.

On sait à quel prix le pain s’éleva sous l’Empire au moment même des plus beaux triomphes de Napoléon ; s’il ne manqua pas comme pendant la République, il était cher et de si mauvaise qualité alors, que le peuple en poussa plus d’une fois des clameurs significatives. Avec quoi vécurent presque uniquement toutes ces populations où Napoléon plongeait chaque année les deux mains pour en retirer des grappes de deux ou trois cent mille hommes ? Avec des pommes de terre, dont on demandait jusqu’à deux récoltes à un sol généreux, car la France, cette belle France qui grise toutes les nations de ses vins et de ses eaux-de-vie, ne produit pas de grain pour se nourrir trois mois. Que nos