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le dragon rouge.

indigna, il essaya de les repousser ; mais la calomnie avait pris ses habitudes, et elle n’y renonça pas facilement.

Les plus sages lui conseillèrent d’opposer le silence au mensonge, d’attendre tout du temps ; si les autres n’osèrent plus attaquer devant lui la réputation de mademoiselle de Canilly, ils n’en continuèrent pas moins à la ruiner dans l’ombre. Mais tous ceux qui parlaient au commandeur de mademoiselle de Canilly n’omettaient jamais, soit qu’ils fussent pour elle ou contre elle, de s’étonner de la détermination du marquis de Courtenay, fondée assurément sur quelque motif grave. Pourquoi, au moment d’épouser mademoiselle de Canilly, répétaient-ils sans cesse, — mademoiselle de Canilly, dont ils avaient remarqué les attentions affectueuses pour le marquis de Courtenay, — avait-il rompu toutes relations avec elle, s’en était-il éloigné du jour au lendemain ? Enfin pourquoi s’était-il caché de désespoir au fond de son hôtel ? Cette objection, si forte en elle-même, la plus forte de toutes, était la plus facile à résoudre pour le commandeur.

Mais comment dire à chacun que Casimire, loin d’avoir mérité le dédain du marquis, avait tout simplement refusé de devenir sa femme parce qu’elle en aimait un autre, parce que cet autre c’était lui, le commandeur ? Après une pareille réponse, venue si tard, ne l’accuserait-on pas de pousser la générosité jusqu’à se donner un ridicule pour couvrir un tort, manteau souvent léger quand la tempête de la calomnie est en train de souffler, ou d’avoir été de complicité avec Casimire, dans le but de rendre victime d’une atroce bouffonnerie un jeune homme adoré de l’aristocratie polonaise, un frère enfin, un frère aîné qu’il avait affecté jusqu’alors d’aimer et de vénérer comme le chef de la famille ?

Et puis, se disait-il encore, parvient-on jamais à convaincre d’erreur ceux qui ont besoin de mensonge comme ils ont besoin de glace en été pour boire froid ? Pourquoi consentiraient-ils à se laisser dépouiller d’un plaisir, d’un passe-temps déli-