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le dragon rouge.

Le foyer se vida une seconde fois.

Raoul, trompant les prévisions de ses persécuteurs, était allé reprendre sa place sous la loge de la marquise de Courtenay. Il fut loisible à tout le monde, au public comme aux jeunes gens du foyer, de s’assurer que, pendant l’entr’acte, il n’avait rien perdu de son assurance première. Il avait retrouvé sa pose insultante à l’un des angles de la loge ; ses bras s’étaient croisés sur sa poitrine, signe évident de la longue patience dont il se résignait à subir le poids pendant quelques heures, s’il le fallait.

Comme il ne troublait pas le spectacle, comme il ne nuisait en rien aux plaisirs du public par cette conduite, blessante seulement pour trois personnes, la police aurait été fort mal venue de le sommer de quitter la salle. Il arriva même, par le fait de cette obstination de Raoul à tyranniser ainsi de son regard cette loge, que certaines personnes cessèrent de voir dans cette conduite bizarre l’action d’un homme décidé à se montrer grossier jusqu’à la brutalité, jusqu’à l’indécence, jusqu’à la cruauté. Pourquoi la fougue d’une passion de jeune homme pour la marquise de Courtenay ne serait-elle pas la cause de cet oubli des convenances ? L’amour fait oublier bien autres choses ; il fait oublier la plus grave de toutes les choses : le respect qu’on doit à la personne aimée. Raoul était plus que suffisamment justifié dans son aveugle témérité par la rare et superbe beauté de la marquise de Courtenay, une des perfections que Dieu fait bien d’envoyer de loin en loin sur la terre afin de retenir parmi les hommes la croyance du beau, quand toute croyance s’en va.

Ce n’était ni le marbre qui glace l’œil, ni le satin, chose blessante au toucher, objets de comparaison inventés par les rhéteurs et les mauvais peintres, susceptibles tout au plus d’inspirer de la volupté aux tapissiers et aux marchands d’albâtre. C’était de la belle et suave chair, comme en avaient Ève, Cléopâtre et Ninon, pâle aux joues, blanche aux épaules,