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le dragon rouge.

C’est dans ce moment où le cœur battait si fort au marquis qu’elle lui dit :

— Je vous quitte…

— Vous me quittez !… Ne me quittez pas !…

— Non ! je veux dire que nous nous retirons, mais que je vous quitterai quand je vous aurai ramené chez vous, parfaitement rassurée maintenant sur le sort de notre commandeur. Comptez sur mon inviolable discrétion pour tout ce que vous m’avez dit relativement à sa fuite.

— Vous êtes rassurée !… votre discrétion !… sa fuite !… Qu’est-ce que cela veut dire ? Suis-je assez insensé pour vous avoir exprimé autre chose que ce qui est dans ma pensée, que ce que tout le monde sait, que ce que dix ou douze témoins ont vu. Ne viens-je pas de vous montrer un catafalque ? Voulez-vous me rendre fou, décidément fou ? Oh ! madame de Maintenon n’a jamais tourmenté ainsi Louis XIV ! Mes malheurs égaleront du moins les malheurs du grand roi, si ma gloire et mon faste n’ont pas su égaler son faste et sa gloire, dit, épuisé par cette exclamation, le pauvre marquis, tout à la fois risiblement modeste et vraiment touchant en réclamant les derniers privilèges de sa raison.

— Pardonnez ! oh ! pardonnez ! dit la marquise d’un accent plein de regret, émue de compassion pour son mari dont elle venait de jouer la raison, afin de lui arracher l’impossible aveu que le commandeur n’était pas mort. Pardonnez à une aberration momentanée de mon esprit et non du vôtre. Soyez indulgent envers une douleur de famille dont l’excès m’a fait prêter un sens opposé à celui de vos paroles, qui sont justes, qui sont sensées. Si c’est une faute, excusez-la en faveur du profond attachement que j’avais pour votre frère… Je suis bien punie, je vous ai attristé, affligé ; mais…

— Vous êtes bonne, interrompit le marquis, touché des regrets de sa femme, de sa résignation attendrissante, de son accablement profond. Vous êtes bonne de nous aimer ainsi.