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le dragon rouge.

un pays où votre union fera votre force, où, si un bras doit la protéger, c’est le vôtre, mon fils bien-aimé, mon Tristan. Je n’ai pas voulu vous dire autre chose. Vous n’êtes plus un enfant.

— Non, ma mère.

En parlant ainsi la marquise admirait avec une douce pitié l’énergie qu’elle avait éveillée dans l’âme de son fils, tandis qu’elle ne pouvait renoncer à voir en lui ce qu’il n’était que trop, un enfant délicat dont l’éloignement la remplissait déjà de crainte.

— Vous êtes si peu un enfant que j’ai obtenu pour vous, Tristan, de la bonté de monseigneur le duc de Bourbon, l’emploi de secrétaire d’ambassade.

— Ah ! ma mère, s’écria Tristan avec enthousiasme, laissez-moi aller le remercier.

— Monsieur le duc est exilé.

— Exilé !

— C’est la vie, reprit la marquise. Votre protecteur cherche peut-être lui-même en ce moment une protection.

De sombres pressentiments traversèrent l’esprit de la marquise au souvenir de cette grande déchéance. Un homme ouvrit à ce moment la porte du salon ; il avait un manteau de voyage.

— Encore un instant ! lui dit la marquise. Laissez-nous.

— Mes enfants, reprit-elle en s’emparant de la main de Tristan et de Léonore, écoutez mes paroles comme si Dieu lui-même vous les disait.

Pénétrés de l’émotion de leur mère, les deux enfants s’agenouillèrent sur le tapis.

La marquise n’osa pas les relever. Elle se pencha sur eux, le visage inondé de larmes, et elle leur dit à voix basse :

— Votre mère vous demande pardon à tous deux, non pas de ne pas vous avoir aimés, car elle n’a pas ce cruel reproche à s’adresser, mais d’avoir négligé de veiller autant qu’elle l’aurait dû sur votre éducation. Au lieu de vivre pour vous, de former votre caractère, de vous préparer au bonheur par ses soins, elle a livré sa vie à des occupations dévorantes qui ne lui ont