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le dragon rouge.

La marquise lut enfin cette demi-ligne.

« Vous aimez cet homme.

« Adieu, madame.
« Commandeur de Courtenay. »

— Moi ! je l’aime ! Moi ! Ah ! cet homme se venge trop, mon père ! Est-ce qu’il ne lui arrivera pas malheur comme à vous, mon père ?

— Moi, je l’aime ! répéta-t-elle, et il le lui a dit le pistolet sur le cœur ! Et si le commandeur était mort, ses yeux, sa bouche se seraient fermés pour toujours sur cette calomnie. Quelle épouvantable mort ! Il lui a dit cela ! Mais, j’y pense, il le lui a dit devant des témoins, devant mon mari ! Ah ! tout se dévoile ! Je suis, à cette heure, la fable de Paris, la moquerie des salons ; et je ne savais rien ! Je devine à présent, je prévois à présent, je sais tout à présent. Ce jeune homme, ce Marescreux m’a déshonorée en un jour, il m’a enlevé en un jour l’amour du commandeur. Mon père ! mon père ! vous m’avez laissé sur les bras un terrible héritage.

Moi, vous avoir trahi ! revint la marquise, et comme si elle eût parlé au commandeur ; et vous avez pu le croire ? De tous mes maux celui-là est bien le plus horrible. Quelle affreuse agonie il me doit ! quel affreux retour à la vie ! Je connais la susceptibilité de son âme : cette conviction l’a mortellement frappé. Il se plaint à peine ; il ne m’accable pas, il ne me maudit pas. Je sais ce qu’il aura souffert, ce qu’il souffre encore. Mourir pour moi, et apprendre au moment de mourir que je ne l’aimais pas, que j’en aimais un autre, celui qui va le tuer ; et ne rien dire, et mourir ! Cette résignation est sublime ! mon Dieu ! je ne vaux pas cela, non, je ne vaux pas cela. Quelle femme mérite tant d’amour et tant de dévouement ? Cependant vous le savez, mon Dieu, j’ai pleuré sur lui toutes les larmes que j’avais dans le cœur, et je le pleure encore. Pourquoi mes enfants ne sont-ils plus là ? Que je suis malheureuse ! Personne, personne pour me consoler.