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le dragon rouge.

Venait ensuite le paragraphe écrit de la main de Léonore.

« Chère maman,

« Tristan n’est pas juste : il vous a dit la vérité, mais il ne vous l’a pas dite tout entière. Si nous nous sommes parfaitement ennuyés chez la grandesse castillane, à la cour et au sermon, nous avons enfin de quoi nous consoler et de quoi espérer. Au sortir du sermon, de ce fameux sermon dont vous a parlé Tristan, nous avons été abordés à la portière de notre chaise par un jeune seigneur espagnol, mis avec un goût charmant. Il tenait à la main son chapeau à plumes ; il prenait la liberté de nous plaindre, a-t-il dit, avec une spirituelle courtoisie, de ce que nous avions eu si peu de motifs de nous intéresser au sermon. Il avait lu notre ennui sur notre visage. Il venait, au nom de la jeune Espagne, ajouta-t-il, faire des excuses à deux hôtes aussi distingués que nous pour la fatigue que nous avions dû éprouver pendant cette triste cérémonie. Mais, se reprit-il avec un ton modeste et avantageux à la fois, tous les Espagnols ne sont pas taillés sur le modèle de ceux que vous avez connus depuis votre arrivée à Madrid, et si, hors de l’Église, il n’y a pas de salut, on peut du moins trouver, hors de l’Église, de l’amusement, du plaisir, de la jeunesse et de la gaieté. Voulez-vous me permettre, a-t-il dit, s’adressant plus particulièrement à Tristan, de vous faire partager mon opinion ? Vous ne pourriez, sans dureté envers l’Espagne, lui refuser les moyens de se justifier. Tristan a fait ce que j’aurais fait à sa place ; il a répondu gracieusement aux politesses de ce jeune étranger, et il a accepté de renoncer bien volontiers à son opinion sur l’Espagne, qui lui paraissait infiniment changée, a-t-il ajouté, depuis le peu d’instants qu’il avait le plaisir de connaître et d’entendre un si parfait gentilhomme.

« Vous n’auriez pas douté un instant qu’il est gentilhomme, chère maman, rien qu’à la manière fière et simple dont il jette son manteau, qui le drape et ne le cache pas. D’ailleurs,