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le dragon rouge.

— Je l’emporte dans le Béarn pour le donner au fils aîné de M. de Marescreux, ce beau jeune homme dont je vous ai déjà tant parlé et que vous épouserez afin d’unir à jamais nos deux familles. Son père veut ce mariage, et moi…

— Vous ne le voudrez pas, mon père. Je n’ai jamais vu, je ne connais pas le fils de M. de Marescreux…

— Qu’importe ? dit M. de Canilly.

— Je ne l’aime pas.

— Est-ce qu’on exige que vous l’aimiez ? C’est une alliance politique.

— Mais si je l’épouse sans l’aimer je serai malheureuse…

— Est-ce que les princesses se marient par amour ? Où en seraient-elles ? S’agit-il d’un roman ou d’une affaire ? Au reste, puisque vous ne voulez pas qu’elle se fasse, continua-t-il, n’en parlons plus. Renonçons aux grandeurs assurées ; enterrons-nous dans ce pays de neige. Je vais écrire à M. de Marescreux que, ne pouvant vous décider à donner la main à son fils aîné, je retire ma parole. Ce n’est pas tout encore ; il est de mon honneur d’avertir mes amis de Paris de ne plus compter sur moi, d’agir sans mon concours, rendu impossible par votre refus d’épouser le fils de M. de Marescreux. Et lui aussi est compromis avec nous dans la même affaire ! C’est dur, c’est douloureux ; mais qu’y faire ? Oui, ma carrière est finie ; elle est fermée, murée. J’avais pourtant quelque chose dans la tête ! Je mourrai obscur ! J’espère du moins mourir bientôt ! Qui m’eût dit cela ? s’écria le comte, baisant à genoux, les yeux pleins de larmes, les mains tremblantes de respect, les vieux parchemins, les médailles, les cachets jetés sur la table. Ne rien laisser après moi ! Oh ! c’est une ignominie à laquelle je ne survivrai pas ! Que ne puis-je mourir en ce moment, entouré de ces nobles reliques de nos aïeux ! Que d’honneurs ils m’ont laissés, à moi qui ne leur rend que des larmes !

— Mon père !…