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le dragon rouge.

vements, pour les réprimer. Ne laissez jamais surprendre votre raison, ne vous abandonnez même à ses conseils qu’après l’avoir longtemps retenue entre la crainte et la réflexion. Voyez-vous, vous êtes entourée de pièges, et j’ai trop peu de temps à demeurer avec vous pour ne pas vous rappeler brutalement mes conseils de huit années. Défiez-vous de l’amour, ce poison étendu sur tout ce que touchent les femmes ; méfiez-vous de la pitié, de la reconnaissance, de la bonté, de l’amitié ; ce sont autant de flatteurs qui nous détrônent en nous soulevant doucement dans leurs bras. Le terrain où ils livrent combat aux femmes va de dix-huit à trente ans. Elles y perdent presque toutes la vie, faute de prévoyance et d’armes. Je vous ai armée : défendez-vous. Ces mauvaises années passées, que d’années ne reste-t-il pas à l’ambition, et comme elles sont bien remplies quand on les entame sans les infirmités, les blessures, les regrets, que laissent les passions !

Voyez-vous ! répéta-t-il encore en se concentrant de plus en plus à mesure qu’approchait le moment de quitter sa fille, son élève ; voyez-vous, Casimire, il n’y a que Dieu au ciel, nous au monde. Ce qui est autour de nous doit nous servir comme nous servent diversement les choses physiques mises par la nature à notre portée et à notre usage Que fait-on des arbres ? On les abat et on fait des ponts. Il y a des êtres qu’il faut abattre, les coucher, puis passer dessus : ils sont nés arbres. Que fait-on des rochers ? On les taille et on s’en fait, pierre à pierre, des forteresses, des palais ; ainsi d’une foule d’hommes qui n’ont chacun que la valeur isolée d’une pierre ; réunissez-les, joignez-les et employez-les à votre sûreté, à votre bien-être ; d’autres sont les sables de la mer : on les jette devant soi pour marcher plus mollement et couvrir ses ennemis de poussière ; d’autres sont les gouttes d’eau d’un fleuve : on les laisse passer en masse sans même leur demander leur nom, pourvu qu’ils nous portent sur l’autre rive ; d’autres sont des oiseaux : ils en ont le plumage et la voix, ou des fleurs, comme