Page:Gréard - L’Éducation des femmes par les femmes, Hachette, 1889.djvu/384

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trotte, ses sens sont agités, les pieds lui brûlent. » Elle se livre à toutes ses impressions, comme elle se livrait à ses études, avec cette sorte de furia, cette intensité qui lui permettait de dire « qu’en embrassant l’ensemble de son existence, n’ayant pas atteint quarante ans, elle avait prodigieusement vécu, si l’on compte la vie par le sentiment qui marque tous les instants de sa durée. » « J’ai plus d’âme que de figure, plus d’expression que de traits, » écrit-elle dans son portrait, voulant indiquer par là la mobilité de sa physionomie morale, non moins difficile à saisir que l’autre. Cette activité « la tourmente ; il faut qu’elle imagine ou qu’elle raisonne, » et il lui échappe des jugements étranges, comme lorsqu’elle traite Faublas de joli roman, des mots odieux et qu’on voudrait effacer de ses Lettres, comme le jour où elle demande des têtes.

Mais ce ne sont là, pour ainsi dire, que des éblouissements. Si sur le moment elle se laisse attacher à tout ce qui la séduit, elle ne « nourrit pas de chimère » : à l’époque de sa plus grande ferveur d’admiration pour l’Émile, elle en signalait judicieusement, nous l’avons vu, les rêves irréalisables et les utopies dangereuses. Aussi réfléchie qu’ardente, elle distingue entre ses imaginations et ses raisonnements : « elle regrette presque ce qu’elle a imaginé et tire toujours quelque fruit de ce qu’elle a raisonné. » « Incrédule au cabinet, pieuse au temple, » se prêtant à tous les contrastes, aucun sentiment ne la dépossède complètement d’elle-même ; elle reste toujours en mesure de se reprendre. Dans les conjonctures plaisantes, elle se chicane en riant et se moque de sa sensibilité trop expansive : ainsi plaisantera-t-elle au sujet du discours lu par son mari à l’académie