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SUZANNE NORMIS.

récent pour que je ne me sente pas de trop entre vous… Le temps aidant, tout s’arrangera… ; M. de Lincy a des façons de parler et d’agir auxquelles je ne puis m’habituer tout d’un coup… Tu es ma fille, je t’ai adorée. Je ne puis supporter de t’entendre gourmander par un homme… C’est ton mari ! Soit. La femme doit obéissance et soumission ! Soit encore ; mais le père ne peut pas voir ces choses avec plaisir… Je m’y ferai plus tard, peut-être !

Suzanne, qui avait baissé la tête aux premiers mots de ce discours passablement diffus, la releva et me regarda droit dans les yeux :

— Père, me dit-elle, ne va pas t’imaginer des choses qui ne sont pas ; malgré ce que tu as pu supposer, tout va bien ici ; tes peines n’ont pas été perdues, cher père, tu as voulu que je sois heureuse, et je suis heureuse.

Elle parlait d’une voix vibrante et passionnée qui me saisit. M’étais-je trompé ? Aimait-elle son mari ? Les formes déplaisantes que M. de Lincy déployait à son égard n’étaient-elles qu’un trompe-l’œil destiné à voiler aux yeux étrangers les joies intimes et l’entente parfaite de l’amour partagé ? Je ne pouvais le supposer, et pourtant Suzanne était là, transfigurée, vaillante, rayon-