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SUZANNE NORMIS.

— Oh ! père, ne lui en parle pas, je t’en suplie ! s’écria ma fille ; s’il savait que je t’en ai parlé, il serait furieux !

— Furieux ! Je voudrais bien voir cela.

J’étais tellement irrité, que pour me calmer Suzanne se vit forcée de m’avouer l’exacte vérité. M. de Lincy, averti par ses domestiques des visites que me rendait sa femme pendant ses absences journalières, avait jugé à propos de se faire payer sa complaisance, et il avait dit très-nettement à Suzanne que, si elle voulait continuer à me voir, il fallait qu’elle obtînt en échange les sommes dont il pourrait avoir besoin. C’est du moins ce que je recueillis de son long récit, coupé par des réticences douloureuses.

— Et si je te les refuse ? dis-je, outré de tant de bassesse.

— Ne me les refuse pas, père, je t’en supplie ! Tu me ferais beaucoup de chagrin !

Elle insistait avec tant de vivacité, que je soupçonnai encore autre chose. À force d’interroger et de deviner, je finis par comprendre que le misérable époux, connaissant la répugnance invincible qu’il inspirait à ma fille, lui faisait acheter son repos au prix des sacrifices d’argent qu’elle pourrait obtenir de moi.