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ROMAN D’UN PÈRE.

des hommes ; le mouvement d’une grande ville nous empêchait de sentir notre isolement. Ici, le plus féroce misanthrope eût trouvé la satisfaction de ses goûts. Les quelques paysans de notre hameau étaient toujours au travail dans les champs ; à peine à midi ou le soir les voyait-on passer. On échangeait un salut, parfois une parole, car ces gens étaient très-sociables. Leur aisance relative leur donnait le sentiment de l’égalité vis-à-vis de nous. Les paysannes ne causaient guère qu’avec Félicie ; parfois Suzanne entrait dans une maison, caressait un enfant et sortait aussitôt. Là se bornaient nos relations extérieures.

Notre maison, ancien corps de garde de douaniers, était en pierres de la falaise, schiste et granit ; des rosiers blancs la tapissaient extérieurement ; Suzanne y avait tendu à l’intérieur quelques centaines de mètres de perse, et avec les meubles primitifs que nous avions achetés à la hâte, nous nous étions installé un refuge très-passable. Il n’y manquait qu’un piano, et je n’osais en faire venir un de la ville, de crainte d’attirer l’attention des villages environnants. Suzanne s’était rendue à cette raison ; nous nous promettions d’en avoir un « l’année prochaine »,