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SUZANNE NORMIS.

je regardai dans le jardin ; elle brodait, il lisait, rien n’était changé, et pourtant, à présent que mes yeux s’étaient dessillés, je voyais dans cette attitude paisible, dans ce recueillement intérieur mille nuances qui m’avaient échappé.

Ils en étaient encore à la période de l’amour qui s’ignore et vit de lui-même. L’innocence du regard de Suzanne, la franchise de celui de Maurice m’étaient garantes qu’ils ne se croyaient qu’amis. Combien de jours, combien d’heures durerait ce calme ? À quel moment inconnu la passion éclaterait-elle dans ces deux êtres en pleine jouissance de la jeunesse et de la vie ? Demain, ce soir peut-être… Que fallait-il faire ? Où s’arrêtaient mes droits ? Que me commandaient mes devoirs ?

Je m’assis dans mon fauteuil loin de la fenêtre, pour ne pas les épier malgré moi, car ce rôle d’espion me répugnait d’autant plus qu’il me tentait, en dépit de mes efforts. Je voulais savoir à tout prix ce qu’ils pouvaient se dire ; je voulais mesurer l’étendue de l’abîme où nous venions de rouler sans nous en apercevoir. J’eus le courage de me retirer, de coller mes mains sur mes yeux et de me mettre à penser seul.

Leurs voix me tirèrent de ma rêverie ; Mau-