Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 1.djvu/254

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tout leur jour. Si le cours des choses en Juda et à Jérusalem avait ressemblé, depuis l’avènement de Jéchonias, à une bouffonnerie confuse et désordonnée, la farce venait tout d’un coup de se changer en une tragédie sanglante, et ce drame lugubre de la ruine d’une nation eut pour entracte les souffrances du prophète Jérémie. L’investissement de Jérusalem avait jeté l’infortuné dans un accablement que trahissait tout son extérieur. D’un côté, ses sentiments de Judéen, son patriotisme, le poussaient sinon à prendre à la défense une part que lui interdisaient son âge et sa condition, du moins à exciter le courage des combattants ; de l’autre, son devoir et sa clairvoyance prophétique lui ordonnaient de proclamer que la hutte était vaine, que le sang allait couler en vain, que la ville chargée de péchés était irrévocablement condamnée dans les décrets de Dieu. Si on ne lui ôta point la parole, c’est qu’on ne le pouvait guère en un moment où ses prophéties recevaient une si douloureuse confirmation. Ainsi qu’il l’avait prédit, les peuples du nord étaient venus, avaient dressé leurs trônes devant les portes de Jérusalem et apprêtaient un grand châtiment. Jérémie n’eut d’ailleurs eu qu’à le vouloir pour soulever peuple et guerriers, s’emparer du pouvoir et traiter à des conditions acceptables. Ce fut sous son influence, alors très forte, que les grands et les riches affranchirent leurs esclaves israélites et qu’un édit royal imposa la même mesure aux nobles[5].

Le siège durait depuis un an et l’on s’était sans doute battu à distance, avec des alternatives diverses, lorsqu’un retour de fortune se produisit, le roi d’Égypte Apriès (Hofra) tenait enfin sa promesse, tant de fois faite, et envoyait une armée contre Nabuchodonosor, qui aussitôt leva le camp pour se jeter à la rencontre de son adversaire (février 586). Grande fut la joie dans Jérusalem. Lorsque les portes, si longtemps fermées, se rouvrirent, les habitants se rugirent dans les champs, pour savourer de nouveau l’air de la liberté. Mais avec leur crainte se dissipèrent aussi leurs bons sentiments : l’ennemi n’eut pas plutôt disparu qu’un certain nombre de nobles et de riches retombèrent dans leur perversité et, oublieux de la foi jurée, replacèrent leurs esclaves sous le joug. Indigné jusqu’au plus profond