Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 2.djvu/182

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les puissances célestes et les créatures terrestres allaient se résoudre pour eux. En se plongeant dans l’étude du texte sacré, les Esséniens éprouvèrent une illusion d’optique qui leur fit croire que les pensées qu’ils prêtaient aux Saintes Écritures y avaient été déposées dès l’origine. En se désintéressant des affaires du pays et même de la vie de tous les jours, ils initièrent le judaïsme, — qui repose sur la participation de tous à la prospérité nationale, — aux mystères extatiques d’une doctrine secrète. Ce qu’il y avait de plus étonnant chez eux, c’était leur profonde vénération, mêlée de terreur, pour le prophète et législateur Moïse. Son souvenir et son nom étaient chers à tous les Judéens du dedans et du dehors. On jurait par Moïse et on ne donnait ce nom à aucun autre. Les Esséniens poussèrent ce respect à l’extrême et ils firent de Moïse une sorte d’être divin. Celui qui osait profaner son nom méritait à leurs yeux la peine de mort, comme s’il avait blasphémé Dieu.

Le but suprême des Esséniens, c’était d’arriver à l’extase prophétique et d’être favorisés de l’esprit saint (rouah, ha-kôdesch). Ils croyaient avoir, grâce à leur austérité, le moyen de réveiller l’écho divin depuis si longtemps muet. Et puis, quand ce but sera atteint, quand les prophètes auront reparu, quand des hommes et des jeunes gens auront obtenu des visions célestes et, dans leur extase, auront su soulever le voile de l’avenir, le règne du Messie sera proche, la royauté céleste commencera et mettra du coup un terme aux peines et aux misères du présent.

Par suite de leurs habitudes bizarres et de leurs tendances mystiques, les Esséniens n’étaient pas seulement considérés par le peuple comme des saints, mais on les admirait aussi comme des thaumaturges. Le peuple écoutait leur voix et attendait d’eux la fin de ses maux. Quelques-uns parmi les Esséniens avaient la réputation de savoir dévoiler l’avenir et expliquer les songes. Ce qui augmentait encore chez les ignorants le respect pour les Esséniens, c’étaient les cures merveilleuses qu’ils opéraient sur la personne de prétendus possédés. Le contact des Persans avait implanté chez les Judéens, à côté de la croyance aux anges, la foi superstitieuse aux démons (schédim, mazikin). Tout individu aliéné passait pour un possédé, dont le corps et l’