Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 2.djvu/301

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raconte lui-même — pour les honneurs, la fortune et les plaisirs corporels. Il lui semblait rouler dans l’espace avec le soleil, la lune et les étoiles. Il était de ces rares élus dont l’esprit, au lieu de ramper sur la terre, prend naturellement son essor vers les sphères les plus hautes. Il se sentait heureux d’être au-dessus des soucis et des occupations vulgaires. Toutefois, quelque fût son enthousiasme pour la philosophie, le judaïsme lui était encore plus cher ; et s’il allait butiner des fleurs dans le champ fertile de la philosophie grecque, c’était pour en tresser des couronnes à la Loi de ses pères.

Depuis assez longtemps Philon menait une vie purement spéculative, lorsqu’il se vit entraîné par les événements dans le tourbillon des ennuis politiques. La triste situation de ses coreligionnaires l’arracha à sa vie contemplative, et plus tard, se rappelant avec d’amers regrets les nobles occupations de sa jeunesse, il se plaignait que les soins de la vie pratique eussent troublé sa claire intuition des choses de l’esprit et appesanti le vol de sa pensée. Il se consolait toutefois en sentant que son intelligence avait conservé assez de ressort pour pouvoir, aux heures paisibles, s’élever de nouveau vers les hautes régions. La philosophie n’était pas uniquement pour lui un aliment de l’esprit ; il lui dut aussi une grande noblesse de sentiments, un de ces caractères fiers et tout d’une pièce qui ne peuvent rien comprendre aux sottises et aux vices des hommes vulgaires. Sa femme, pleine d’admiration pour lui, aimait à imiter la simplicité de ses mœurs. À des amis qui lui demandaient un jour pourquoi elle, si riche, dédaignait de porter des parures d’or, elle répondit : La vertu du mari est la meilleure parure de la femme. Les contemporains de Philon étaient émerveillés du charme de son style, qui rappelait la langue poétique de Platon. De là ce dicton : Ou bien Platon philonise, ou Philon platonise. Il aspira surtout à concilier la philosophie de son temps avec le judaïsme ou, pour mieux dire, à démontrer que le judaïsme est la véritable philosophie. Ce n’était pas pour lui un thème de dissertation, un simple jeu d’esprit ; c’était une tâche sérieuse et sainte. Son âme était si pénétrée de ces idées que maintes fois, comme il le raconte lui-même, elle tombait dans un état d’extase où il lui semblait percevoir des révélations intérieures