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de la nation tout entière, que s’il avait son siège dans l’intérieur du temple. En montrant que l’autorité du Synhédrin état indépendante de l’endroit où elle était exercée, et en établissant ce Conseil à Jabné, Johanan prouva que l’existence du judaïsme n’était nullement liée à l’institution des sacrifices. À partir de ce moment, et sans que se produisît la moindre opposition, Jabné remplaça Jérusalem et devint le centre religieux et national des communautés dispersées. Le privilège le plus important du Synhédrin, celui qui lui a toujours permis d’exercer une action efficace sur toutes les communautés du dehors, le droit de fixer les jours de fête, fut accordé au Conseil de Jabné. Dans cette ville se constitua encore une autre assemblée qui prit le modeste titre de Bet-din (tribunal), et dont Johanan obtint également la présidence.

Ce qui soutenait Johanan, ses disciples et les autres docteurs de la Loi contre les défaillances et le découragement, c’était l’espérance ou plutôt la certitude qu’Israël ne périra jamais. Leurs regards se portaient au delà des tristesses du présent pour contempler le brillant avenir promis à leur peuple. Et cependant le présent était bien sombre ! Les Judéens qui avaient survécu à l’effondrement de leur État avaient été dépouillés, et leurs terres distribuées aux Romains et aux hellénisants ; ceux qui avaient possédé autrefois des richesses considérables souffraient de la plus affreuse misère. Tous, même les plus pauvres, étaient soumis à la taxe que Vespasien avait imposée aux Judéens (fiscus judaicus). Le pays, si florissant avant la guerre, était couvert de ruines, Israël était en deuil, les mariages même se célébraient dans un douloureux silence.

Cette époque si néfaste est décrite d’une façon saisissante dans une allocution que Johanan ben Zakkaï adressa à ses disciples. Un jour, ce docteur aperçut une jeune fille, de famille riche, qui ramassait des grains d’orge jusque sous les pieds des chevaux pour s’en nourrir. À ce spectacle d’une poignante tristesse, il s’écria : « Peuple infortuné qui ne voulais pas servir ton Dieu, tu es maintenant condamné à servir des nations étrangères ! Tu refusais un demi-sicle pour le service du temple, et tu payes maintenant à tes ennemis un impôt trente-cinq fois plus élevé ; tu ne voulais pas entretenir en bon état les chemins et les routes pour