Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/426

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

du ministre juif, il accourut, à ce qu’on raconte, auprès des rois catholiques, un crucifix à la main, et leur adressa ces paroles véhémentes : Judas Iscariote vendit le Christ pour trente pièces d’argent. Vos Majestés veulent le vendre pour trois cent mille ducats. Eh bien, le voici, vendez-le. Impressionnée par ces paroles, peut-être aussi influencée par les conseils de prêtres fanatiques, Isabelle résolut de maintenir l’édit d’expulsion, et, comme elle avait beaucoup d’énergie et de ténacité, elle réussit à faire partager son opinion à son époux. Don Abraham Senior, grand favori de la reine, essaya, après Abrabanel, de s’entremettre auprès d’elle en faveur de ses coreligionnaires, mais en vain. Un membre du conseil royal d’Aragon, Juan de Lucena, dont la dignité équivalait à celle de ministre, insista sur la nécessité de faire exécuter l’arrêt d’exil.

À la fin d’avril (1492), on proclama dans tout le pays, à son de trompe, que les Juifs n’étaient plus autorisés à rester en Espagne que jusqu’à la fin du mois de juillet, pour liquider leurs affaires, et que ceux qui y prolongeraient leur séjour au delà de ce délai seraient passibles de la peine de mort. Malgré leur désespoir de quitter leur chère patrie et les tombes de leurs aïeux, pour aller au-devant d’un avenir incertain, dans des pays dont ils ne comprenaient pas la langue et dont les habitants se montreraient peut-être à leur égard plus malveillants encore que les Espagnols, les malheureux Juifs étaient bien obligés de s’habituer à la douloureuse pensée de leur prochain exil et de faire leurs préparatifs de départ.

Ils s’aperçurent alors de plus en plus combien était terrible la calamité qui les atteignait. S’ils avaient pu partir avec leurs richesses, comme les Juifs anglais vers la fin du XIIIe siècle et les Juifs français un siècle plus tard, il leur eût été possible de triompher en partie des difficultés qui les attendaient à l’étranger. Mais obligés de transformer leur numéraire en lettres de change, puisqu’il leur était défendu de l’emporter, ils ne purent pas se procurer assez de traites en Espagne, où prédominaient la noblesse et le clergé, et qui, par conséquent, n’avait pas, comme l’Italie, des relations commerciales étendues. Le commerce avait été surtout entre les mains des Juifs et des Marranes, et ceux-ci