Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/59

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adversaires. Il n’exprima nulle animosité contre ses ennemis, il ne les mentionne même pas par leurs noms dans ses ouvrages, et si on ne le savait pas d’autre part, la postérité aurait ignoré à tout jamais les polémiques et les persécutions qu’il eut à subir de la part du ministre Samuel ibn Nagrela.

Quoiqu’il parût familiarisé avec les questions philosophiques et eût écrit un ouvrage sur la Logique, Ibn Djanah était ennemi des spéculations métaphysiques sur les rapports de Dieu avec le monde et sur les causes premières, spéculations qui préoccupaient vivement plusieurs de ses contemporains et compatriotes juifs, particulièrement Ibn Gabirol. À son avis, de telles recherches ne pouvaient conduire qu’au doute et à l’athéisme. Penseur calme et réfléchi, son esprit était fermé à toute idée excentrique ou fantaisiste, et aussi à toute inspiration poétique. Il formait ainsi un contraste frappant avec Ibn Gabirol, le troisième personnage du triumvirat, qui occupa une place si glorieuse dans l’histoire juive de cette époque.

Salomon ben Juda ibn Gabirol, en arabe Abou Ayoub Soleïman ibn Yakya (né en 1021 et mort en 1070), est une des personnalités les plus remarquables de l’Espagne juive. À la fois poète gracieux et profond penseur, il s’éleva au-dessus des intérêts matériels et des préoccupations terrestres pour s’attacher aux questions supérieures de l’existence. Dans ses ouvrages, ibn Gabirol nous montre souvent à nu son esprit, si puissant dans son originalité, et son cœur généreux ; mais on sait peu de choses sur sa vie et sa famille. Son père Juda, qui habitait Cordoue, paraît avoir émigré de cette ville, à la suite de troubles, en même temps que Samuel ibn Nagrela, pour se rendre à Malaga. C’est dans cette dernière ville que naquit et fut élevé cet homme remarquable, qui brilla d’un si radieux éclat par son génie poétique et sa raison pénétrante, et qu’on peut surnommer le Plotin juif.

D’après quelques-uns de ses vers, où il déplore avec des accents plaintifs et touchants d’être resté de bonne heure sans appui, sans frère ni ami, Ibn Gabirol parait avoir perdu, fort jeune encore, ses parents. Son caractère, très impressionnable, se ressentit de cet isolement. N’ayant jamais connu les joies de l’enfance