Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/116

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innovation hardie que de confier à un Juif une mission aussi considérable auprès d’un État chrétien. Devant l’insistance de la Porte, Venise céda, et le doge ainsi que les sénateurs reçurent l’envoyé turc avec les plus grands honneurs. Il fut conduit solennellement au palais des doges, où il signa, au nom de la Turquie, le traité de paix avec Venise.

Aschkenazi apporta le salut à ses coreligionnaires de Venise. On sait qu’avant son arrivée, leur expulsion avait été décrétée par le Sénat. Le doge Mocenigo insista pour l’exécution de cette mesure. Mais déjà à Constantinople, Salomon avait demandé à Jacob Soranzo, représentant de Venise, d’intervenir en faveur des Juifs. À Venise, où Soranzo l’avait accompagné, il insista de nouveau auprès de ce diplomate pour qu’il l’aidât à détourner le malheur qui menaçait la communauté juive. Ils y réussirent ; le décret d’expulsion fut rapporté (19 juillet 1573). Salomon obtint même la promesse que ses coreligionnaires ne seraient plus jamais exilés. Comblé d’honneurs, il retourna à Constantinople, laissant son fils à Venise pour y achever son éducation.

Dans le monde chrétien, on sut bientôt quelle influence le juif Joseph de Naxos exerçait à Constantinople sur le sultan et le juif Salomon Aschkenazi sur le grand-vizir. Aussi commençait-on par s’adresser à eux quand on avait besoin de la Porte. Lors de la révolte des Pays-Bas, qui s’opposèrent par la force à l’introduction de l’Inquisition et essayèrent de se rendre indépendants de l’Espagne et du fanatique Philippe II, les gueux sollicitèrent l’aide de Joseph de Naxos, qui avait conservé des relations en Flandre, où il avait autrefois séjourné. Le duc Guillaume d’Orange, l’âme de la révolte, essaya d’obtenir par son intermédiaire le concours de la Turquie, qui, en déclarant la guerre à l’Espagne, aurait obligé cette dernière à rappeler ses troupes de Flandre. L’empereur Ferdinand aussi fit remettre une lettre autographe au duc juif pour se le rendre favorable. Philippe II lui-même, cet ennemi implacable des Juifs et des hérétiques, sollicita le concours d’intermédiaires juifs quand il voulut obtenir un armistice des Turcs.

Grâce à la sécurité dont ils jouissaient, les Juifs de Turquie virent refleurir parmi eux la poésie hébraïque. Non pas que cette