Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/195

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restrictions contre les Juifs, et même leur expulsion. Venise avait été surpassés par d’autres puissances maritimes, les Pays-Bas et l’Angleterre, et écartée du marché du Levant. De là, une diminution sensible dans ses affaires et la ruine d’importantes maisons de commerce. D’orgueilleux marchands virent ainsi prendre leur place par des capitalistes juifs, qui avaient des relations étendues et étaient mieux armés pour lutter contre leurs rivaux anglais et hollandais. Au lieu de s’en prendre à eux-mêmes ou aux circonstances, ces marchands se tournèrent contre les Juifs. Avec d’habiles précautions et par des allusions ingénieuses, Luzzato indiqua aux autorités de Venise les raisons du déclin. de certains marchands vénitiens et leur fit comprendre les avantages considérables que les commerçants juifs fixés à Venise assuraient à la ville. Il établit par la statistique que les Juifs procuraient à la république un revenu annuel de plus de 250.000 ducats, faisaient vivre quatre mille ouvriers, livraient au public à un prix peu élevé les produits du pays et importaient les marchandises étrangères. Luzzato rappela aussi les services considérables que les capitaux juifs avaient rendus récemment à la république, lors d’une épidémie.

Si Luzzato signala les mérites de ses contemporains juifs, il eut aussi le courage de montrer leurs défauts. Sans doute, dit-il, les Juifs vénitiens différent de leurs coreligionnaires turcs, allemands ou polonais ; mais ils présentent aussi des traits communs. Ils sont pusillanimes, sans énergie, absorbés par leurs intérêts particuliers et peu préoccupés de l’intérêt général. À force d’être économes, ils sont presque avares ; ils admirent l’antiquité et ne comprennent pas les temps présents. Beaucoup d’entre eux manquent de culture, ne cherchent pas à connaître les langues. Leur obéissance aux lois religieuses va jusqu’à la mortification. Par contre, ils ont de remarquables qualités : ils sont fermes dans leurs croyances, et, s’ils manquent de vaillance pour aller au-devant du danger, ils endurent les souffrances avec un grand courage. Ils connaissent fort bien la Bible et ses commentaires, sont hospitaliers et charitables envers leurs coreligionnaires, très soucieux de l’honneur de leur famille, habiles à traiter les affaires les plus délicates, pleins d’égards et de déférence envers tous,