Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/246

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étaient généralement très pauvres. Ceux de Pologne surtout, qui avaient été décimés par les massacres des Cosaques et ruinés par l’anarchie qui régnait souvent dans ce pays, étaient dans le plus complet dénuement. Tous les ans, des bandes de mendiants se répandaient dans l’ouest et le sud de l’Europe et se fixaient dans les grandes communautés, qui les gardaient à leur charge.

Comme beaucoup de ces émigrants polonais étaient de savants talmudistes, ils réussirent peu à peu à occuper les plus importants postes rabbiniques, à Prague, Nikolsbourg, Francfort-sur-le-Mein, Amsterdam, Hambourg, et même en Italie. Leur influence fut très fâcheuse. Ils éloignèrent la jeunesse des sciences profanes et la confinèrent rigoureusement dans l’étude du Talmud, la soumettant à cette méthode de dialectique excessive qui conduit à la subtilité et à l’ergotage. Par suite de ce système d’enseignement, les Juifs allemands, comme leurs coreligionnaires de Pologne, s’habituèrent peu à peu à parler un vulgaire jargon, leur esprit se faussa, et la rectitude du jugement fit place à l’amour du paradoxe et à la finasserie.

Appauvris, démoralisés, mal dirigés, les Juifs devaient forcément se laisser égarer par les agitateurs qui succédèrent à Sabbataï Cevi. Un des partisans de ce dernier, Daniel-Israël Bonafoux, chantre à Smyrne, réussit à grouper autour de lui un assez grand nombre de Juifs, qui rendirent un culte respectueux à la mémoire du faux Messie. Il avait trouvé un collaborateur actif dans Abraham Miguel Cardoso, qui, expulsé de Tripoli pour ses intrigues, propagea pendant plus de vingt ans les idées de Sabbataï à Smyrne, à Constantinople et au Caire, jusqu’à ce qu’il fut poignardé par un de ses neveux. Mais sa mort ne mit pas fin à l’agitation, car ses écrits, où les extravagances se mêlaient aux conceptions sensées, continuèrent à surexciter les esprits. Cardoso était, du moins, resté fidèle au judaïsme. Bonafoux, peut-être pour se venger des vexations des rabbins de Smyrne, prit le turban.

Un autre partisan de Sabbataï créa une agitation plus sérieuse, qui s’étendit jusqu’en Pologne. L’auteur de ce mouvement était un prédicateur ambulant, Mordekhaï d’Eisenstadt, d’un extérieur imposant et vénérable, qui avait acquis une grande autorité en